DIALOGUE N°1 - RECONNAÎTRE LES SOLS URBAINS

DIALOGUE ENTRE PATRICK HENRY, ARCHITECTE-URBANISTE ET CLÉMENTINE ROMÉO, URBANISTE

A la suite de la journée d’information du 2 juin 2022, « Reconnaître les sols urbains », proposée par le CAUE92 en partenariat avec Patrick Henry architecte-urbaniste, nous poursuivons nos réflexions sur le sujet par un focus sur le Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Abordé en filigranes des présentations et des échanges conduits lors de la journée, le ZAN ne cesse d’interroger les acteurs politiques locaux quant à son application : complexe, hors-sol…quel paradoxe…, hors réalité, mal défini. Nous avons demandé à Patrick Henry de nous éclairer dans ce moment législatif qui peut paraître nébuleux et proposons de nous replacer ainsi avec lui dans une posture positive de compréhension et de projet 

Clémentine Roméo 
De nombreuses critiques, notamment dans les rangs des urbanistes, ont été portées sur les définitions introduites par le ZAN : artificialisé ? non artificialisé ? 
Pouvez-vous les rappeler ?
Rejoignez-vous ces voix critiques ?


Patrick Henry 
La démarche va dans le bon sens.
Il y a urgence de reconsidérer les sols, de ne plus les consommer sans compter, mais de leur porter attention, de les inscrire dans des dispositifs plus larges. Nos territoires comme les ressources ne sont pas extensibles, les terrains deviennent précieux, car ils sont rares. Mais ils sont aussi précieux, car les sols possèdent des qualités intrinsèques. Reste que la question a mal été posée, proposant un même dispositif pour tous les territoires qu’ils soient densément habités ou non.
Il y a un défaut d’explications et de définitions : entre artificialisation et désimperméabilisation, doit-on choisir ?
Les décrets tels qu’ils sont écrits aujourd’hui sèment le trouble, car ils n’insistent pas sur les possibilités offertes par le ZAN. Par exemple, la désimperméabilisation, d’un parking n’est pas comptabilisée, car le sol est déjà considéré comme artificialisé. La vision trop limitée de l’artificialisation est pénalisante et n’ouvre pas de perspectives.
Par conséquent, on oppose les systèmes et les gens : étalement contre densité, périurbain contre métropole, etc.
Les choses vont être reprises (déclaration du ministre), mais pour quoi faire ? C’est une loi sans doctrine, qui pose le pourquoi, mais pas le comment atteindre les objectifs, car au fond la question de la spatialisation de la loi n’a pas été faite. La question n’est pas de savoir ce que l’arrêt de l’artificialisation des sols va interdire, mais de savoir ce qu’elle va permettre. En se posant cette question, on ouvre un champ exploratoire important et stimulant pour le devenir des territoires en matière de requalification du patrimoine ordinaire, de formes urbaines, de spécificités locales des modes constructifs, etc.

Clémentine Roméo 
Depuis l’annonce et l’inscription du ZAN dans la Loi Climat et Résilience, quels commentaires retenez-vous de la part des acteurs des territoires, en particulier des élus locaux ?
À ce propos, que disent les derniers décrets ?
Quelles nouvelles réactions suscitent-ils ? 
(c.f. Réaction virulente de l’Association des Maires de France quant à 2 décrets sur les 3 d’avril 2022)


Patrick Henry 
Les élus locaux ont vivement réagi, car ils y voient une entrave au développement de leur territoire.
Beaucoup subissent ces injonctions comme contradictoires : développer économiquement leur territoire, mais limiter la construction de logements neufs en particulier des pavillons. Ces derniers constituent un modèle toujours recherché. Mais cela parce qu’il n’y a pas d’alternatives.
Des filières de construction aux montages financiers, rien n’est fait pour développer la réparation du bâti ancien. Et pourtant les logements vacants et les gisements fonciers dans les centres anciens ou dans leur continuité sont nombreux !
Les objectifs du ZAN sont les mêmes partout que les communes soient dynamiques ou pas. Il n’y a, pour le moment, aucune possibilité d’adaptation aux spécificités des territoires. Mais le paradoxe, c’est que les élus contestent une loi qui vient d’en haut, sans attention à leurs caractéristiques, alors qu’eux-mêmes urbanisent et construisent selon les mêmes modèles que leurs voisins.
Une recontextualisation de la loi est nécessaire et implique des démarches de projet.
Le socle législatif encore mouvant n’aide pas. Lors de la conférence des SCOT en octobre dernier, les élus ont demandé à territorialiser le débat pour aider les Régions à faire leurs propres choix  et à effectuer un décompte des projets qui demeure un gros sujet de tensions.
Christophe ­Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a ouvert des possibilités d’adaptation des décrets du 29 avril 2022 sur la nomenclature des sols artificialisés et sur les objectifs et règles générales du ­Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Les Régions auront jusqu’au 22 février 2024 pour inscrire les objectifs du ZAN dans leur Sraddet. Le calendrier est serré et le consensus encore incertain.

Clémentine Roméo 
Dans le cadre des échanges de la journée du 2 juin 2022, vous énonciez des pistes sur la place des sols dans le projet urbain, dans le projet de territoire, non pas comme élément limitant ou demain intouchable, mais comme part à la proposition, à la pensée des transformations, au devenir écologique, humain non humain, vivable.
Revenons-y afin de poursuivre sur ce sujet engageant !


Patrick Henry 
Pour s’approprier le ZAN et ses objectifs, il faut, à mon sens, repenser l’urbanisme et établir un urbanisme des sols. Cela ne signifie pas réformer, légiférer, mais repartir de postures qui ont jalonné l’histoire de cette discipline pourtant jeune.
La modernité, et en particulier les Trente Glorieuses, ont occulté des pans entiers de cette discipline. Pourtant, des démarches plus attentives aux environnements existent et sont pertinentes pour faire face aux enjeux climatiques. Tout est là et nous ne voyons rien !
Nous devons retrouver une mémoire écologique et sortir de l’obsession du temps présent. Le présentisme crée une situation qui décrète l’inutilité du passé pour penser le présent.
Les sols représentent un temps long, lent qui constitue le socle des civilisations, le fondement de nos sociétés. Ce temps long doit être réinvesti de façon démocratique. Nous devons inscrire nos actions dans la durée en mettant en place des instances permettant le dialogue et l’ajustement.
Des figures historiques comme celle de Patrick Geddes, des paysagistes comme Ian McHarg, des urbanistes comme Gérald Hanning ou des écologistes comme David Holmgren, ont mis en place des méthodes que nous pouvons interpréter et utiliser aujourd’hui. En nous inspirant des propositions de Bernardo Secchi formulées dans un article (Progetto di suolo) de 1986 de la revue italienne Casabella, nous pouvons envisager l’urbanisme des sols comme le projet entre les choses, l’art de l’assemblage et de la mise en relation.
Il ne s’agit pas de revenir en arrière, d’effacer ce que nous avons vécu. Nous devons plutôt combattre par les idées et les actes, les mythes de la concurrence des territoires, des métropoles vertueuses contre un étalement pavillonnaire coupable, d’une densité quantitative contre une adaptation aux contextes, etc. Pour cela, les inspirations du passé nous aident à panser le présent et à envisager d’autres futurs urbains. Les sols jouent un rôle central dans cette démarche, car ils forment le lien entre notre passé et notre avenir à condition de les considérer autrement que comme le support de nos activités, mais comme leur origine, leur fondement.




À paraître : Des tracés aux traces, pour un urbanisme des sols, de Patrick Henry, aux éditions Apogée, début 2023.
 
RETROUVEZ LES DIFFÉRENTES INTERVENTIONS FILMÉES
 
Remerciements au CAUE77 qui a réalisé  la captation et  permis la mise en ligne de la journée "Reconnaître les sols urbains".

Autour de ces mêmes questions, nous vous invitons à découvrir  le cycle de conférence organisé par le CAUE77 en collaboration avec l'École d'architecture de la ville & des territoires Paris-Est 
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